Bucarest

CONTEXTE
Une ville en mutation et en effervescence

Bucarest est une ville qui se développe et mais surtout qui se cherche. Comme nous l’avons progressivement exposé auparavant, par la présentation d’exemples, l’explication du contexte roumain, de sa société et de ses enjeux, ces quartiers ont un véritable rôle à jouer dans l’avenir de la ville. En effet à l’heure où la ville souhaite se développer pour atteindre ses ambitions de métropole européenne, de ville reconnue à l’échelle internationale, il semble qu’elle ait choisi un chemin hasardeux. Aujourd’hui toute l’attention se tourne vers la construction de « mégas projets » majoritairement dans le centre ville, ou dans le nord traditionnellement plus chic. Ces projets sont principalement des édifices de bureaux « tape à l’œil », des "malls" toujours plus grands et des résidences toujours plus luxueuses. Il existe peu de réflexions sur la ville existante (on commence tout juste à timidement rénover le centre historique, Lipscani) On cherche à travers ces nouveaux édifices à construire une nouvelle image pour la ville, surtout à effacer celle du passé.




La ville prétend à un développement du tourisme et la Mairie engage d’ailleurs une « certaine » politique visant un tourisme de luxe, et par conséquent les hôtels et la ville qui vont avec. Bucarest manque cruellement d’initiatives publiques, d’investissements durables après des années d’actions purement étatiques, nous sommes passés du tout au rien. Le Mall serait-il aujourd’hui la seule réponse aux terrains restés vacants ? La ville qui se dit rivaliser avec les plus grandes métropoles européennes, manque pourtant cruellement d’équipements, des plus simples et quotidiens, aux plus symboliques .

Malls, grands hôtels et places financières se multiplient donc dans la ville, même là où on ne les attend pas. L’exemple de la Casa radio, est assez significatif. Ce bâtiment inachevé de l’époque Ceausescu, qui devaient accueillir tous les musées de Bucarest est aujourd’hui le lieu d’un futur « méga » projet, qui scinde la carcasse du bâtiment en deux parties afin d’y insérer une grande roue, un grand nombre de bureaux, un centre de shopping et des logements de luxe. Programme peu original, mais à une échelle gigantesque. Tout comme le projet Esplanada, il vise à remplacer les symboles passés par de nouveaux symboles, icônes illusoires d’un rêve métropolitain.



De l’importance et du poids de ces quartiers

Une des caractéristiques de ce quartier, frappant tout d’abord l’esprit et l’œil du néophyte est sa relation à la ville en général et au centre ville en particulier.

A la ville tout d’abord. Ce quartier héberge 201 066 Bucarestois, soit environ 1/10ème de la population de Bucarest. C'est donc une partie importante de la ville, qui à une place non négligeable dans la vie et le développement de cette dernière. Ce quartier est cependant loin d’être une ville dans la ville, et d’être autonome, et sa place tend même à diminuer). Il dispose de commerces suffisant pour la population, mais d’aucun équipement destiné à améliorer le quotidien ou à distraire.

Cette remarque est récurrente dans les entretiens avec les habitants, se plaignant souvent de n’avoir comme unique distraction, le Mall.



Berceni est en revanche relativement bien connecté au centre ville, du moins la partie disposant de stations de métro. Il faut environ une quinzaine de minutes pour rejoindre le centre ville. L’enclavement par le transport n’est donc pas une réalité dans ce quartier, comme cela est le cas dans un certain nombre d’exemples étrangers, notamment dans certains grands ensembles français, dont le problème majeur est l’enclavement et l’inaccessibilité. Cependant, un certain nombre d’éléments tendent à donner le sentiment d’une séparation nette de ce quartier du reste de la ville, notamment les deux grands « espaces verts » présents au nord-est du quartier.



Au sud, en bordure directe des blocs de béton, la fin de la ville planifiée, le début d’un petit chaos spontané, mélange de petites maisons, vieilles usines, terrains vagues et d’un vent spéculatif récent. Berceni peut donc tout de même se vanter aujourd’hui d’attirer les investisseurs en accueillant un nouveau Mall au nord du quartier (alors qu’un Carrefour gigantesque est déjà implanté au sud) et les Monaco towers, résidence de luxe, entre industries et ville qui s’étale, au sud. Il existe en outre une multitude de petits projets locaux et spontanés faisant apparaître dans certains endroits improbables des édifices de bureaux ou des maisons privées.

Enfin, Berceni est aussi un passage obligé vers le sud du pays et la Bulgarie. Ses grandes avenues sont donc abondamment fréquentées par les voitures à longueur de journée.

La question que nous nous posons à présent est donc :



Berceni peut-il jouer un rôle à l’échelle de la ville ?

Ou plutôt :

Berceni peut-il jouer un AUTRE rôle à l’échelle de la ville ?

 




A la recherche de lieux au potentiels urbain, foncier et symbolique pertinents pour Bucarest



QUELS PROGRAMMES POUR BUCAREST ?






De mon expérience de la ville et de mes recherches est née la réflexion autour de la possible implantation d’un équipement à l’échelle de la ville dans ce quartier, participant à un projet de ville et développement de cette dernière.

La part militante et revendicative de ce projet est évidente. Comme toujours à Bucarest, les autorités en place semblent oublier ce qui a été construit précédemment et s’attachent sans cesse à s’en débarrasser, que ce soit par la destruction, ou par tout simplement l’oubli et la négation. Un équipement à l’échelle de la ville pourrait être une manière de mettre ce quartier précisément, et ces quartiers plus généralement, en lumière et de réveiller ces morceaux de ville tombées dans une certaine léthargie. Cela serait d’une certaine manière une proposition alternative aux nombreux projets en place actuellement, une révélation des possibilités, des disponibilités foncières et de l’intérêt qu’elles peuvent susciter.



Suggestions

Un certain nombre d’équipements ou de programmes publics pourrait être envisagé, étant donné les lacunes de Bucarest en la matière, comparée à d’autres capitales européennes. Si l’équipement culturel apparaît souvent une réponse facile à des questions programmatiques dans un contexte Ouest-européen, Bucarest est loin d’être envahie par ce type de projets. Je souhaitais tout d’abord faire un point sur les programmations possibles et plausibles pour la ville.





La question du théâtre pourrait être l’une des réponses pertinentes, dans une ville où toutes les scènes sont concentrées au centre de la ville, et où la culture littéraire fait partie intégrante de la culture roumaine. Plus largement la question des arts de la scène se pose, à nombre égal d’habitants une rapide comparaison entre l’offre parisienne et l’offre bucarestoise laisse penser que ce secteur est loin d’être développé à son maximum dans la capitale roumaine et surtout mal réparti dans les 228 km² de la ville.



Le musée semble lui aussi pouvoir trouver sa place surtout dans le cadre du développement touristique souhaité par la municipalité. Cette ville aujourd’hui peine à attirer et séduire, du fait notamment d’un certain complexe d’infériorité vis-à-vis de ses voisines Budapest ou encore Prague. Bucarest pourrait ouvrir la voie à un autre tourisme et miser sur de nouveaux quartiers, en les mettant en lumière, proposant un autre tourisme que celui du château de Prague ou des vieilles rues de Buda.

D’après mon expérience, je pense qu’il existe un vrai potentiel pour ce tourisme culturel et conscient. Inscrire un musée dans ce quartier attirerait d’une les Bucarestois et touristes dans d’autres lieux de leur ville, et permettrait en outre de donner une nouvelle image à ces quartiers et surtout une fonction alternative au quartier-dortoir.

Focus sur une idée de musée

Je souhaite appuyer ces suggestions programmatiques par quelques exemples pertinents notamment sur le type de musée susceptible de s’implanter à Berceni.

Deux exemples, se référant chacun à des contextes différents me semble assez pertinent et peuvent trouver écho dans ce quartier.

Le premier projet est l’Opkoljeno Sarajevo (musée du siège de Sarajevo, rattaché au musée d’histoire). Ce projet de musée m’intéresse dans le sens où il résulte d’une participation active des habitants de la vile, qui ont amené des souvenirs, des objets de leur quotidien à cette époque. Ainsi, des situations sont récrées, des affiches de l’époque de résistance de la ville. Ce musée dispose d’une salle pas plus, et parle de lui-même sans artifice.

Ce musée est donc le fruit d’une volonté publique et nourrit de l’investissement des habitants et de leur implication.



Un autre projet est celui du MUVIF à Ifigha en Algérie, décrit par sa conceptrice ci-dessous :

« Un projet souhaité collectif, plus que communautaire MU : Comme Musée – Mu c’est aussi un symbole largement utilisé en sciences : En mathématiques statistiques, MU symbolise l’espérance ou la moyenne. V : Comme Vivant, car l’objectif poursuivi est de faire revivre des savoirs-faire. IF : Comme Ifigha, petit village de grande kabylie (Nord-Est de l’Algérie), accroché à 1500m d’altitude.

Derrière ce projet, deux volontés : La première : Redessiner la mémoire et ressouder le temps : celui d’avant et celui de maintenant. Un lieu pour lutter contre l’oubli et pour raconter, les rites, les croyances, les symboles, les chants et les objets d’un quotidien, d’un temps qui ne cesse de se conjuguer au passé. Exhumer les trésors d’une culture, que la modernité et ses avatars de grande série réduisent peu à peu, au silence La seconde, est d’impulser une nouvelle économie basée sur la renaissance et la perpétuation de tous les savoirs spécifiques, liés à l’identité territoriale d’Ifigha et pas seulement à l’identité culturelle. L’originalité de cette démarche réside dans la volonté de donner un futur, à ce territoire, qui puisse transcender la dimension rurale au profit d’une dimension.

Enfin, je souhaitais présenter un ultime exemple, d’un musée assez confidentiel situé à Timisoara, dans l’ouest de la Roumanie, à proximité des frontières serbes et hongroises. Le Musée de la Révolution de 1989, a vu le jour grâce à une ONG, l’Association du Mémorial de la Révolution 16-22 décembre 1989 à Timisoara. C’est un musée que rien ne semble vraiment indiquer, presque invisible pour l’œil du promeneur ou de l’habitant bien que situé en centre ville. Dans ce lieu ont été rassemblés de nombreux documents et archives sur la révolution, ainsi qu’une impressionnante collection de vidéos et reportages sur ces événements qui ont, rappelons-le, débutés à Timisoara. Des salles bricolées mais une richesse extrême qui a d’ailleurs attiré l’ambassadeur du Japon en Roumanie, unique visiteur présent lors de ma visite. Une telle démarche pourrait largement avoir sa place dans une structure dans la capitale. Si la révolution commença à Timisoara, elle finira à Bucarest, pourquoi ne pas y créer un pendant, capable d’accueillir le fond colossal de cette ONG ? Berceni pourrait-il être un lieu de réception de cette initiative, en tant que trace d’une partie de cette histoire ?



La thématique commune à ces 3 programmes de musées est celle de la personne. Chacun s’articule autour de l’homme et de son patrimoine (historique, culturel, personnel..) Cette idée de musée pourrait faire écho au musée présent dans le nord de la ville « du paysan roumain » en complétant en quelques sortes l’histoire roumaine, par son passé récent voir son présent. Cette idée programmatique est celle que je soutiens le plus à l’échelle de la ville, car pertinente et selon moi efficace dans un travail d’éducation des nouvelles générations. Ces suggestions et références programmatiques découlent en partie de mon expérience sur place, des rencontres et des discussions avec des bucarestois, qui ont notamment nourri la partie précédente.






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