Après avoir envisagé le quartier depuis la ville de Bucarest, il semble temps d’y pénétrer réellement et de comprendre ses enjeux internes, ceux de ses espaces publics, et de sa vie, ses ambiances, ses couleurs.
L’obstacle principal des projets dans ces quartiers est le vide juridique qui y règne, et qui a justifié pendant des années l’immobilisme. En effet aujourd’hui personne ne sait exactement qui est propriétaire des espaces extérieurs, une fois la porte de l’immeuble franchie. Personne ne sait donc qui est responsable de ces espaces et de leur entretien. De fait « la légende » veut que ces espaces extérieurs soient propriétés de chacun des habitants d’un bloc, mais l’on peut se demander où commence la propriété d’un immeuble et où finit celle de son voisin. La question, loin d’être élucidée (tout comme un certain nombre de questions similaires à Bucarest) est un cadre propice à l’apparition de petites architectures qui poussent comme de la mauvaise herbe. A cela s’ajoute de nouveaux phénomènes tels que la rétrocession de terrains abandonnés ou confisqués sous le communisme, entraînant la construction de demeures privées au cœur des blocs et sur l’espace commun supposé appartenir à tous.
C’est donc dans ces conditions qu’il faut aujourd’hui réfléchir à une réhabilitation de ces quartiers, dans un cas où la législation freine plutôt qu’encourage, et où l’état reste spectateur.
Depuis le début de l’exposé, nous envisageons Berceni en tant que quartier et qu’entité unique, hors ceci vaut avant tout lorsque l’on se situe par rapport à l’échelle de Bucarest. Un habitant rencontré dans le centre historique de la ville vous dira qu’il habite Berceni, alors qu’un habitant rencontré à Berceni vous dira qu’il habite à Apparitoriei Patriei ou tout autre « sous-quartier » de Berceni.
Au niveau local donc, Berceni se trouve en réalité morcelé, du fait même de l’usage des habitants, de la présence des écoles réunissant certaines familles, mais également du fait même de l’histoire de la construction de ce quartier et de ses grands axes. Un découpage raisonné s’impose de fait mettant en lumière des problématiques différentes selon les zones. La photo aérienne est d’ailleurs assez révélatrice et permet déjà de sentir ce découpage.
FOCUS SUR LE QUARTIER
Afin de comprendre les problèmes majeurs auxquels sont confrontés les habitants dans leur quotidien je souhaite présenter un rapide diagnostic des lieux et ses principales problématiques communes à l’ensemble de Berceni (et souvent aux grands ensembles de manière générale à Bucarest).
Tout d’abord la dégradation des lieux, évidente de manière générale, et particulièrement importante dans certaines zones. Les façades qui se décomposent sont un des problèmes majeurs, tout comme une isolation défectueuse due à une construction rapide et bon marché. A cela vient s’ajouter le manque d’entretien des espaces communs, tels la cage d’escalier, l’ascenseur, les boites aux lettres souvent en opposition violentes avec le soin et l’investissement personnel et financier dans les appartements. Dans les entretiens et les enquêtes, l’adjectif « sale » est récurrent dans les descriptions et le sentiment des habitants.
Certaines parties du quartier sont éminemment mieux loties en matière d’espaces verts, la photo aérienne est d’ailleurs édifiante. Ceci est en partie une conséquence des différentes étapes de la construction du quartier. Les immeubles les plus récents firent partie des projets les plus denses laissant peu de place à la végétation.
La place du « chacun pour soi » est également assez exprimée dans ces quartiers, comme pour pallier à un quotidien sans opportunités réelles d’amélioration, l’individu prend des initiatives censées lui apporter un autre confort de vie. On voit alors, des familles repeindre le morceau de façade correspondant à leur appartement, des parkings se privatiser tout comme des jardins par l’installation de grillages, des boutiques récupérées en rez-de-chaussée et qui s’agrandissent sur la rue etc.. La liste est longue et significative d’une énergie individuelle bien présente.
IMAGINAIRE DES POSSIBLES
C’est dans l’échelle du quartier que réside selon moi le moteur du projet et son commencement. C’est par lui que l’envie des habitants comme des pouvoirs publics pourraient être stimulés et réveillés.
Comme le disent Véra Marin et Anita Amara: « il est vrai que les cinquantenaires, qui ont vécu pendant plus de 40 ans le découragement de l’initiative individuelle et l’interdiction de s’associer pour des buts communs se sont « habitués » à cet habitat qu’ils subissent stoïquement. » « Ce qu’ont de particulier ces jeunes générations c’est qu’elles ne
s’identifient pas avec le passé, elles le rejettent, le dénoncent en même temps qu’elles le subissent. A l’instar de leurs parents, hantés par le passé et déconcertés par le présent, les jeunes générations ont peu connu les difficultés antérieures et prennent position contre les frustrations et les limitations présentes. »
A la base d’un travail architectural et urbain, se trouve, selon moi, un important travail social. Comment motiver les anciennes générations ? Comment répondre et écouter la soif de changement des nouvelles ? Cet enjeu est crucial selon moi, notamment d’un point de vue historique, si l’on considère les conditions de production de la ville de ces 50 dernières années. Mais par quelles méthodes ?
L’éphémère comme projet de quartier :
A l’heure de défendre cette idée d’un projet éphémère, matrice de tous les autres, mon esprit se tourne directement vers l’Espagne et sa propension à célébrer un ou plusieurs jours par an les quartiers de ses villes, quels qu’ils soient, bien loin d’une simple fête de centre ville, pour touriste, c’est un moyen de réunion, et certainement de communication.
Bucarest est une ville latine, où le « vivre dehors » est ancré dans les usages, imaginer ces rassemblements de quartier ne semble guère utopique.
Là encore un certain nombre d’espaces semblent disposés à accueillir des manifestations temporaires, des campagnes de mobilisations, d’informations etc… Je pense à des espaces délaissés qui reprendraient vie lors de ces événements comme à des lieux stratégiques, que je vais présenter ci-après. Tout d’abord une avenue centrale dans Berceni, le boulevardul Constantin Brancoveanu, large, traversant tout le quartier et surtout quasiment laissée à l’abandon.
Enfin les endroits stratégiques semblent s’imposer d’eux-mêmes, tels que les stations de métro, les places de marché, les écoles...